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Dites « cheese » aux ventes transfrontalières

Juin 2025

Imaginez...

Vous êtes un producteur néerlandais de fromages et vous vendez vos fromages aux Pays-Bas à des supermarchés et des grossistes. Vous ne connaissez pas grand-chose au marché belge, vous désignez donc un importateur en tant que responsable exclusif de la vente de vos fromages sur le marché belge.

Lorsque l’un de vos acheteurs néerlandais ouvre des magasins en Belgique et commence à y vendre les fromages qu’il vous a achetés, l'importateur Belge tombe des nues. Comme il est désigné comme importateur exclusif, il estime que vous devez le protéger contre les ventes de votre acheteur néerlandais. Vous êtes bien sensible à cet argument et vous envoyez donc un e-mail à votre acheteur néerlandais pour lui demander gentiment de contacter l'importateur belge pour lui acheter les fromages qu’il souhaite vendre en Belgique.

L’acheteur néerlandais ne l’entend pas de cette oreille : il peut acheter les fromages moins chers chez vous et entend utiliser cet avantage de prix en Belgique. De plus, il estime que vous enfreignez le droit de la concurrence si vous lui interdisez de vendre les fromages achetés aux Pays-Bas dans ses magasins belges. Si vous voulez lui imposer une telle interdiction, vous devez également l’imposer à tous vos autres acheteurs et pas qu’à lui.  

Vous êtes interpellé par cette réaction. Votre juriste d’entreprise vous avait dit que vous pouviez protéger un importateur exclusif contre les ventes actives. Qu'est-ce que d’autres acheteurs ont à voir là-dedans ? Devriez-vous également interdire à votre acheteur grec, par exemple, de vendre activement en Belgique, même s'il est à des années lumières d’entrer sur le marché belge ?

Quelques précisions

Le droit européen de la concurrence soutient l'ambition de l'Union européenne de créer un véritable marché intérieur. Les accords entre entreprises visant à fragmenter le marché intérieur sont donc vus d’un mauvais œil.

En ce qui concerne la relation entre un fournisseur et ses acheteurs, les règles du jeu se trouvent dans le règlement d'exemption par catégorie relatif aux accords verticaux, le règlement 2022/720, et dans les lignes directrices qui l’accompagnent, les lignes directrices verticales. Si vous suivez ces règles, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles. Si ce n'est pas le cas, vous feriez mieux de vous préparer à une discussion animée si vous voulez imposer à vos acheteurs des restrictions à la revente.

En vertu du règlement 2022/720, toute restriction territoriale que vous imposez, en tant que fournisseur, à vos acheteurs est, en principe, une violation de ces règles du jeu. Vous perdrez donc le bénéfice du règlement d'exemption par catégorie et les lignes directrices verticales indiquent clairement qu'il est peu probable que vous puissiez mettre licitement en œuvre votre restriction de vente.

Il existe des exceptions à ce principe : par exemple, vous pouvez protéger un acheteur exclusivement désigné contre les ventes actives de vos autres acheteurs. Cela est admissible même dans le cas d'une exclusivité partagée (jusqu'à 5 acheteurs par territoire ou groupe de clients). Il est même possible d'exiger de vos acheteurs qu'ils imposent eux-mêmes une telle interdiction de vente active à leurs propres clients directs. L'idée sous-jacente à cette protection territoriale limitée est qu’elle devrait être suffisante pour encourager le(s) acheteur(s) exclusif(s) à investir dans les produits du fournisseur.

Cette logique ne s'applique que tant que le fournisseur impose une telle interdiction de vente active à chacun de ses acheteurs directs. C’est ce que nous appelons l'exigence d’imposition parallèle.

Dans un arrêt récent dans une affaire intentée par l'importateur Beevers Kaas contre la chaîne de supermarchés Albert Heijn, la Cour de justice de l'UE a précisé que l'exigence d’imposition parallèle fait partie intégrante de la définition de la distribution exclusive du règlement 2022/720.

Dès lors, tant que cette exigence n'est pas remplie, le fournisseur ne peut exiger d'un acheteur qu'il se conforme à une interdiction de vente active. Ce n'est que lorsque l'exigence est remplie que l'interdiction de vente active peut être mise en œuvre par le fournisseur pour l'avenir, et non pour le passé.

Ainsi, un acheteur exclusif n'est protégé contre les ventes actives sur son territoire qu'à partir du moment où tous les autres acheteurs du fournisseur dans l'UE ont accepté une interdiction de ventes actives vers des territoires où le fournisseur a désigné un acheteur exclusif. Cette acceptation ne doit pas nécessairement être prouvée par un accord écrit. L'acceptation peut être implicite et peut découler, par exemple, de l'observation effective de l'interdiction. Toutefois, comme la Cour l'a souligné à plusieurs reprises dans son récent arrêt, le fournisseur doit d'abord avoir envoyé une invitation spécifique et explicite à ses acheteurs à se conformer à l'interdiction, afin que leur attitude ne puisse être interprétée que comme un consentement à cette demande. Le fournisseur doit être en mesure d'en apporter la preuve.

Notre fournisseur néerlandais de fromages devra donc convenir avec l'ensemble de ses acheteurs dans l'UE d'une interdiction de vente active vers la Belgique (ou plus généralement vers les territoires où il a désigné un acheteur exclusif), explicitement (par le biais d'une invitation explicite spécifique et respectée, ou implicitement (par le biais de conditions générales tacitement acceptées). Ce n'est qu'à ce moment-là que l'acheteur néerlandais peut également être soumis à une interdiction de vente active. S'il devait accepter l'interdiction, bien sûr...

Concrètement

À la suite de l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire Beevers Kaas, la protection des distributeurs exclusifs peut être résumée comme suit :

  • Une interdiction de vente active n'est légalement valable et ne peut donc être appliquée que si, dès et aussi longtemps qu'elle a été imposée à chaque acheteur dans l'UE.
  • Si un fournisseur s’y prend correctement, il peut protéger un acheteur exclusif (importateur, grossiste ou détaillant) contre les ventes actives de ses autres acheteurs dans l'UE.
  • Il est permis d’imposer cette interdiction des ventes actives aussi aux clients directs de ces autres acheteurs, si le fournisseur le prévoit. Le fournisseur ne peut pas aller plus loin.
  • La protection contre les ventes actives s'applique à la fois aux acheteurs exclusifs, jusqu'à 5 par territoire.
  • La taille du territoire peut être librement convenue par le fournisseur avec le(s) acheteur(s) concerné(s). Une interdiction de vente active peut s'appliquer non seulement à un territoire, mais aussi à un groupe de clients. 
  • Les ventes passives doivent toujours être autorisées. Un acheteur exclusif ou exclusif partagé doit permettre les ventes sur son territoire ou à son groupe de clients par d'autres acheteurs si l'initiative de ces ventes provient du client et non des autres acheteurs. 

En savoir plus ?

  • Le règlement 2022/720 peut être consulté ici
  • Les lignes directrices verticales peuvent être consultées ici
  • L'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire Beevers Kaas peut être consulté ici
  • De plus amples informations sont disponibles dans l’ouvrage intitulé «Vertical Agreements in EU Competition Law », dont la 4e édition a récemment été publiée par Oxford University Press.

Pour plus de détails ou toutes questions, nous vous invitons à consulter notre site web ou à contacter notre équipe :

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